LA GOUVERNANCE DE LA CITÉ DES DONNÉES
La Cité des Données est un système dit de poly-municipalité. Plusieurs
gouvernements locaux cohabitent et coopèrent ensemble pour servir aussi
bien la ville que leurs communautés respectives.
Les systèmes automatisés, algorithmes comme robots, vous infantilisent
malgré eux, en vous dépossédant de votre pouvoir de décision et de votre
responsabilité.
Bien trop souvent, on vous considère comme de simples consommateurs de
services urbains qu’il convient de satisfaire, sans pour autant vous
associer à la construction de votre ville.
POLY-MUNICIPALITÉ
La Cité des Données a innové en développant le concept de
Poly-Municipalité. Plusieurs municipalités cohabitent sur un même
territoire, sans cloisonnement géographique en quartiers. Au sein d’un
même immeuble peuvent très bien cohabiter 6 municipalités différentes. À
chacun ses préférences politiques ! Chaque gouvernement local interagit
avec ses administrés via des réseaux numériques, leur permettant de
voter directement pour certaines propositions. Toutes les municipalités
collaborent cependant entre elles pour veiller au bon fonctionnement de
la Cité dans son ensemble, tout en veillant à défendre les intérêts
particuliers de leurs citoyens respectifs.
Une surveillance réciproque
Cité des Données a remanié la pratique du jumelage à l’heure de
l’hyper-connexion urbaine. D’une pratique courtoise, mais désuète, elle
en a fait un outil de gouvernance au service de l’optimisation. Ainsi
chaque ville jumelle observe l’autre, à travers ses données, pour lui
signaler ses défauts et ses possibilités d’amélioration. Ce second
regard porté sur la ville est censé permettre d’avoir une analyse
complémentaire et plus juste de l’état urbain, en évitant les biais
cognitifs des décideurs et des habitants (déni, égocentrisme, locus de
contrôle externe).
DATAXATION
Le principe de dataxation est entré en vigueur : les citoyens ont la
possibilité de payer avec leurs données personnelles. Cela permet à la
ville de s’autogérer : elle n’a pas à acheter ailleurs les données
nécessaires au fonctionnement des algorithmes qui assurent sa gestion.
Carpe diem technologique
Les dirigeants de la Cité ont peu à peu cédé à un certain culte de la
prédiction : en pensant être toujours en mesure de devancer un futur qui
ne se produit jamais et en gérant la ville en temps réel, ils prennent
le risque de s’enfermer dans un présent continu où demain n’existe plus.
UNE CENTRALISATION RISQUÉE
La Cité des Données est devenue sans le savoir un terreau autoritaire
: et si demain toutes ses compétences de suivi et d’optimisation
étaient utilisées dans une volonté dictatoriale ? En y regardant de plus
près, elle est un outil de surveillance et de contrôle en puissance,
centralisant la connaissance et la maîtrise de la ville au sein de
systèmes automatisés et aux ordres de la force publique. Tout est en
place pour renforcer un pouvoir dont il serait difficile de se
débarrasser s’il venait à basculer du mauvais côté de la morale…
Du citoyen-acteur au citoyen-consommateur
Malgré eux, les systèmes intelligents, en pensant pour les citoyens,
mènent à une infantilisation : en laissant l’initiative à
l’automatisation et non à la décision humaine, ils les
déresponsabilisent dans leurs tâches du quotidien. Qui n’a jamais
gesticulé dans les toilettes publiques pour rallumer un éclairage dit
“intelligent”, qui peine pourtant à détecter les personnes ou à bien
s’ajuster ?
LE PHÉNOMÈNE DE LA BLACKBOX
Parce qu’on lui assure que c’est efficace et garant de simplicité, le citoyen est dissuadé d’ouvrir les boîtes noires urbaines que renferment les algorithmes. Il ignore complètement ce qui se passe dedans, ce qu’elles retiennent, ce qu’elles exploitent.
LE SIMULACRE DU POUVOIR CIOTYEN
Parce qu’elle est hautement technique, la Cité des Données s’appuie sur une sorte de participation-washing, laissant croire à chacun qu’il est acteur de sa ville, notamment parce qu’il alimente les processus décisionnels avec ses données. Mais les décisions qui conduisent à l’élaboration de la Smart City sont le fruit d’une culture top-down. Quand bien même les citoyens semblent être associés à la co-construction sur des questions du quotidien, l’ensemble du cadre décisionnel et les enjeux de fond lui échappent. Les spécifications de la ville sont bien co-définies, mais seulement avec des experts et autres prestataires, qui ont en tête un souci de performance technique. Peu de place est faite à l’innovation ouverte au débat et à la remise en cause des solutions techniques et idéologiques de la ville intelligente.
UNE HÉGÉMONIE DISSIMULÉE
Il suffit de se rendre au musée de la Smart City pour constater le glissement du citoyen-acteur vers le citoyen-consommateur : les archives de la mairie gardent des traces des différentes versions précédentes de la ville et l’on voit que les systèmes se verrouillent de plus en plus, les considérations d’usage laissant place à des considérations techniques. En lieu d’urbanisation des technologies, on assiste à une technologisation de l’urbain.
La Smart City ne serait-elle pas une fable moderne, affichant sa morale en filigrane et cherchant à nous l’inculquer ? Il semble que la ville intelligente peine à se détacher des canons du néo-libéralisme et de l’économie de marché : sa conception, sa construction et son organisation quotidienne reposent sur un ensemble de paradigmes d’offres et de demandes, incapables de s’accomplir dans un autre cadre idéologique que celui de l’externalisation ou de la privatisation.